mardi 16 novembre 2021

Éric Zemmour et sa parole décomplexée, comme une jouissance

Éric Zemmour prospère sur un terreau délicat, celui-ci est particulièrement mouvant, se transformant et augmentant en fonction des circonstances et des faits : faire peur. Ce dont il use et abuse et qu’il actionne tant, méthodiquement. C’est la peur qu’il instrumentalise, c’est la peur qui est le fondement même de sa politique. 

Le polémiste d’extrême-droite fait de cette émotion, de ce sentiment d’angoisse qui est généré par les attentats terroristes perpétrés sur notre sol[1], l’axiome puissant, le cri de ralliement, comme une arme de guerre. Il n’aura alors qu’à déballer l’évidence, taper du poing sur la table et marteler de mêmes messages. Éric Zemmour sait qu’il va faire mouche. Il sait que sa parole enflammée va porter, parce qu’il dit et répète ce que ces sympathisants veulent entendre, tout simplement.

Pour que cela fonctionne parfaitement, le polémiste provoque systématiquement et balance sur les plateaux de télévision et dans ses meetings les phrases assassines, les mots glacés, les énumérations folles. C’est alors un cri de ralliement. Il sert sur un plateau l’alpha et l’oméga et ses sympathisants vont pouvoir se délecter, se régaler, pour atteindre un état de contentement, comme une jouissance. Parce qu’ils entendent enfin ce qu’ils veulent entendre. Il faut bien comprendre cette évidence, pour que cela fonctionne, il faut une caisse de résonance. Sans elle, Zemmour tournerait à vide. Son public est la caisse de résonance.

Dernièrement, j’ai lu avec beaucoup d’attention une tribune publiée dans Libération[2]Jean-Claude Weill, membre de l’Académie des Sciences, et Jean-François Solal, psychiatre et psychanalyste, développent l’analyse et les observations suivantes. Ceux « qui se sentent humiliés, jamais considérés, à qui on demanderait en plus une injuste repentance », Zemmour leur dit : « ne soyez plus coupable de votre famille, de vos opinions honteuses. Soyez fiers et jouissez enfin de la position que je vous offre, ostracisez à votre tour les minorités dont vous avez fait partie hier ; aujourd’hui haro sur les Arabes, les juifs, les homosexuels, les femmes… »

Pour les auteurs de cette tribune, là réside le succès de ce que l’on nomme aujourd’hui une « parole décomplexée » : « la parole se fait pure jouissance de celui qui la dit, de ceux qui l’écoutent  ; elle ne se fonde ni sur la légitimité ni sur l’honnêteté de celui qui l’énonce  : n’importe qui pourrait la dire et elle vaut autant qu’un mensonge. »

Lorsque Zemmour colporte des mensonges

Peu lui importe d’ailleurs d’égrener des mensonges. Sur le mode de « je connais », « je sais », il tance et balaie du revers de la main, presque méprisant, les commentateurs et journalistes qui le contredisent.

C’est ainsi qu’il procède en septembre 2016, par exemple, lorsqu’il est invité de C à vous, sur France 5[3]Le ton monte très vite entre le journaliste Patrick Cohen et le polémiste. Lorsque Patrick Cohen tente de le contredire et lui fait remarquer que l’on ne peut mettre sur le même plan djihadisme et Islam, Zemmour répond du tac au tac. « Non, vous ne connaissez pas l’Islam, vous ne savez pas. » Comme s’il savait forcément ce que tous les autres ne savent pas, comme s’il était un expert réputé mondialement, comme s’il était historien ou théologien. Il peut alors lancer la charge : « Les soldats du djihad sont considérés par tous les musulmans, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas, comme des bons musulmans, c’est des guerriers, c’est des soldats de l’Islam. » Dans sa bouche, les musulmans sont ainsi enfermés, ramassés, lobotomisés, incapables de penser par eux-mêmes.

Le polémiste tambourine de la sorte continuellement et criminalise. C’est l’autre marque de fabrique du polémiste d’extrême-droite et les exemples ne manquent pas.

« Pour moi la délinquance que nous vivons, n’est pas une délinquance, c’est un djihad. C’est une guerre de civilisations qui nous est menée, une guerre de civilisations, une guerre de pillages, une guerre de viols et une guerre de meurtres », lance-t-il au cours d’un débat qui l’oppose à Jean-Luc Mélenchon, sur BFMTV, le 23 septembre 2021. L’utilisation du mot « djihad » ne tient pas du hasard. Ici, Zemmour assimile bien la délinquance au djihad.

Mais, contredit par Mélenchon, il rectifie le tir. « Il y a heureusement des millions de musulmans qui ne sont pas délinquants, et il y a heureusement des millions de musulmans qui ne sont pas terroristes. » Seulement « tous les terroristes sont musulmans ».

Voilà encore un mensonge éhonté. Comme s’il n’y avait pas une menace terroriste qui proviendrait de l’extrême-droite, de l’extrême-gauche, de mouvements indépendantistes, par exemple. Justement, en Amérique du Nord, en Europe occidentale et en Océanie, les attaques d’extrême droite ont augmenté de 250 % depuis 2014. Elles sont plus élevées aujourd’hui qu’au cours des 50 dernières années[4].

Il faut rapporter ces propos avec l’énumération qui avait été faite par le polémiste, lorsqu’il avait été l’un des invités du meeting de la « convention de la droite », qui réunissait en septembre 2019, les amis de Marion Maréchal Le Pen.

Qu’avait-il dit à ce sujet ? « Il y a une continuité entre les vols, trafics, jusqu’aux attentats de 2015 en passant par les innombrables attaques au couteau dans les rues de France (…) C’est le djihad partout et le djihad pour tous et par tous. » Dans son dernier livre, Zemmour enfonce le clou. « Et un beau jour, le temps aura passé, ils (les immigrés) seront régularisés. Et un jour encore plus beau, ils seront naturalisés. Alors, ils feront venir leurs enfants ou leurs parents, leurs frères et leurs sœurs et leur jeune épouse qu’ils auront ramenée du ‘bled’. Un jour prochain, qu’Allah bénisse ce jour, ils seront l’armée des croyants qui islamisera l’Europe. Pour la plus grande félicité de ces mécréants.[5] »

Ces propos assénés aussi froidement criminalisent, jettent l’opprobre, généralisent à l’excès, caricaturent à volonté, salissent démesurément et à l’envie. 

Éric Zemmour atteint ainsi ses objectifs, lorsqu’il va au plus loin, lorsqu’il franchit toutes les limites, lorsqu’il cogne. Et, il donne ainsi à son public, l’occasion de prendre du plaisir, assurément. Le goût de l’interdit, d’énoncer et d’entendre une « parole (enfin) décomplexée », aller au plus loin dans les propos qui déshumanisent clairement, sont LA jouissance pour celui qui énonce ces propos et celles et ceux qui l’entendent.


Marc Knobel est historien, il a publié en 2012, L’Internet de la haine (Berg International, 184 pages). Il publie chez Hermann en 2021, Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet.


[1] En avril 2021, une semaine après l’assassinat d’une policière au commissariat de Rambouillet, une étude réalisée par l’IFOP pour l’Express (30 avril 2021) montre que la menace terroriste est considérée comme élevée par 86% des Français, 29% la considérant comme « très élevée ». Néanmoins, il s’agit d’un recul de 10% par rapport à novembre 2021 (96%), peu après le meurtre de Samuel Paty.

[2] Jean-Claude Weill et Jean-François Solal, « Zemmour ou l’apologie de la pornographie », Libération, 14 novembre 2021.

[3] https://www.lopinion.fr/politique/enorme-clash-entre-eric-zemmour-et-patrick-cohen-dans-c-a-vous

[4] https://www.prnewswire.com/news-releases/indice-mondial-du-terrorisme-pour-l-annee-2020-les-deces-dus-au-terrorisme-atteignent-leur-plus-bas-niveau-en-cinq-ans-mais-de-nouveaux-risques-apparaissent-837614475.html

[5] Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, ed. Rubempré, 2021, pp. 212-213.

MERCI A TOI MARC . BTA

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